"Je suis né juste après la 2ème Guerre Mondiale à Paris. J'ai connu le vieux Paris, celui des Halles, le Paris de Doisneau, le Paris en Noir et Blanc. J'ai connu l'ancien et le nouveau Monde. J'ai rencontré la photographie avec le Rolleiflex, pas encore le mien, celui d'Henri, photographe de presse à Libération. Pas le Libé que tout bobo se doit de lire avec une tartine de beurre et un café noir, mais celui de la Guerre d'Algérie, de la décolonisation.
Plus tard j’ai été à mon tour photographe de presse à la Cause du Peuple, le journal de Jean-Paul Sartre. Je couvrais les manifs et les grèves de la faim.
De mon enfance, j’ai conservé deux traits: un goût immodéré pour la peinture et pour cette ambiance hors du temps des expositions de peinture, la difficulté voire l’impossibilité d’être encarté, qu’il s’agisse d’un groupe, d’une organisation politique ou idéologique. Je peux être sympathisant, sympathisant actif ou même être satellisé. C’est sans doute pour avoir passé mes premières années sous une table de la section du 9ème du Parti Communiste. Ma mère était peintre mais je me savais exclu de ce jardin d’Eden. Avec la photographie, j’avais trouvé ma fonction, voyeur. Un œil dedans, un pied dehors. Ce fut longtemps mon positionnement dans la vie.
Puis vint l’Algérie, d’abord celle des rêves et des illusions. Les clichés en noir et blanc des chefs des mouvements révolutionnaires basés à Alger dans les années 70, Eldridge Cleaver et les Black Panters entre autres, envolés sans retour dans les bagages du journaliste d’une revue politique d’Amérique Latine. Tant pis. Le plaisir pervers de photographier réside surtout dans l’instant éphémère qui se joue avec le sujet.
Les rêves et les illusions dissipés, je me réveillai un matin, l’envie de photographier avait disparu.
Je ne me reconnaissais pas. L’Algérie avait eu raison de ce côté de ma personnalité. J’étais là, ici et maintenant, accepté tel que je me présentais. Fini la photographie. Du moins celle qui m’habitait. Une longue pause de plus de quinze ans.
Plus tard en France. Mort de l’argentique, débuts balbutiants du numérique. Ca me démange. Je teste les boîtiers existants. Et puis un beau jour sort un petit boîtier reflex Nikon. Et ça repart. L’œil est toujours là. Le regard n’est pas mort. Tout m’intéresse. Je n’ai pas de sujet en particulier. Je refais de la photographie comme une thérapie. Je dois me rééduquer. Mes centres d’intérêt sont minimalistes. Un échange de regards, une lumière, un geste, une impression ou une illusion de vie. J’ai soixante cinq ans et je dois tout réapprendre. Je sais que je suis dans une dernière ligne droite. Plus le temps de me dire plus tard, quand je serai grand ….
Je suis redevenu photographe professionnel dans un musée national. Il me reste à (re)devenir photographe."